Le Mois de l’histoire des Noirs fut établi en 1926 afin de raconter l’histoire des descendants des esclaves africains noirs, en Amérique du Nord et aux Caraïbes, dont 12 millions d’ancêtres ont été amenés de force en Amérique où ils ont vécu dans l’esclavage pendant plus de trois siècles. Les récits de survie et les contributions des personnes noires sont très souvent absents des livres d’histoire traditionnels.
Ces récits s’avèrent parfois déplaisants, surtout s’ils nous racontent des actions liées à l’injustice, à l’esclavage et aux relations raciales. L’héritage de l’esclavage demeure d’une grande importance et nous touche tous.
Le Mois de l’histoire des Noirs nous donne l’occasion de partager des récits et des conversations constructives sur la manière dont nous pouvons bâtir un monde fondé sur l’amour. D’ailleurs, il est intéressant de constater que l’histoire biblique de Joseph nous offre un parallèle de l’expérience des descendants d’esclaves africains noirs.
Comment Joseph interprète son histoire
L’histoire de Joseph se centre sur la réconciliation d’un ancien esclave qui a été trahi par ses frères. En effet, Joseph était le préféré de son père qui lui a offert une tunique princière, ce qui a attisé la jalousie de ses frères qui l’ont ensuite jeté dans une fosse et vendu comme esclave.
Joseph était un esclave docile, ce qui lui a gagné la faveur de son maître, Potiphar, un haut fonctionnaire du pharaon. Joseph a par la suite été faussement accusé par la femme de Potiphar, mais au lieu de se laisser gagner par l’amertume, il a continué à faire le bien, se servant de son talent pour interpréter les rêves et aidant ainsi son maître, l’Égypte et les pays voisins, à éviter une famine longue de sept ans.
Après de longues années d’injustice, Joseph a enfin été affranchi et on lui a permis d’utiliser ses dons, si bien que le pharaon l’a nommé administrateur du royaume pour sa rectitude morale et l’usage qu’il faisait de ses dons pour le bien commun.
Même si les frères de Joseph craignaient qu’il se serve de son pouvoir politique pour se venger d’eux, Joseph raconte son histoire avec candeur, sans nier toute sa souffrance et l’injustice dont il avait été victime, qui plus est, il affirme que le mal qu’on lui avait infligé s’est avéré être pour le plus grand bien de sa famille et de la nation égyptienne.
Mais ce qui est encore plus important, Joseph offre à sa famille des terres dans le pays de Goshen, où tous les membres pourront vivre ensemble en paix et bénéficier d’une égalité qui leur donnera accès aux ressources entreposées pour contrer une famine de sept ans.
L’histoire à travers le prisme de l’amour
Le récit biblique de Joseph nous montre qu’il est possible d’aborder l’histoire et les événements actuels à travers le prisme de l’amour.
La meilleure définition de l’amour nous dit qu’il nous encourage à agir toujours pour notre plus grand bien et pour celui d’autrui.
Joseph se rend compte que toutes les souffrances et injustices qu’il avait subies avaient été commandées par Dieu afin d’assurer la survie de l’Égypte et des nations voisines. Il a donc pardonné à ses frères, choisissant de répondre à l’injustice avec de la bienveillance. C’est l’amour qui est à l’œuvre.
L’histoire de Joseph qui pardonne à ceux qui lui ont causé tant de souffrances et d’injustices semble un chemin difficile. Comment se peut-il qu’une personne qui a été victime d’injustice dépose les armes de la vengeance pour lever l’étendard de l’amour face aux responsables de tant de souffrances?
Nous trouvons la réponse dans le Psaume 37, de David: Ne crains pas les méchants; ils se faneront comme l’herbe. Fais confiance au Seigneur, agis bien. Dieu est fidèle; ne te fie pas à ta propre sagesse. Attends patiemment. Justice sera faite un jour. L’expérience de David reflète celle de Joseph qui a connu la justice de son vivant.
La quête de justice
Grâce à leur lutte contre les injustices et leur insistance sur l’égalité devant la loi, les Canadiens noirs ont établi une solide structure de droits constitutionnels dont tous les Canadiens bénéficient aujourd’hui :
• Les lois concernant les justes méthodes d’emploi et les droits de la personne, dans les années 1950 et 1960
• La Charte canadienne des droits et libertés (1982)
• La Loi sur l’équité en matière d’emploi (1986)
• La Loi sur le multiculturalisme canadien (1988)
Cependant, nous savons qu’il y a encore un long chemin à parcourir pour que les personnes noires et les membres des minorités ethniques soient traités justement, et ce, de manière constante.
Les personnes noires de l’Amérique du Nord ont patiemment attendu pendant trois cents ans d’esclavage et deux cents ans après son abolition, pendant les périodes de colonialisme dans les Caraïbes et de ségrégation en Amérique du Nord, toutes les deux légalement terminées aujourd’hui. Et pourtant, le racisme systémique, le profilage racial, les méthodes d’embauche biaisées, le privilège ethnique et les biais inconscients constituent des problèmes persistants qui entachent toujours la réputation du Canada.
La persistance de ces problèmes est la preuve que les lois seules ne parviennent pas à éradiquer le racisme. Elles fournissent des critères de base, mais elles ne nous inspirent pas à devenir meilleurs.
Comment avancer?
Dans son Sermon sur la montagne, Jésus se centre sur l’amour comme solution devant l’injustice. Il y parle des lois romaines oppressives qui touchent le peuple juif. Il propose alors de dépasser les limites des lois en tendant l’autre joue.
Selon la loi de Rome, une personne en position sociale élevée avait le droit de gifler quelqu’un de position inférieure, mais elle pouvait le faire seulement avec la main gauche puisque la droite était réservée aux pratiques religieuses et ne devait pas être souillée. Si quelqu’un tendait alors sa joue gauche, comme Jésus le suggère, la personne aurait dû gifler avec sa main droite, ce qui forcerait l’oppresseur à se demander si la gifle en question était juste.
Ainsi, Jésus prône une forme radicale d’action non-violente comme défense face aux lois injustes, appelant par là même à la conscience de l’oppresseur, le poussant à se demander si la loi cherche en fait le plus grand bien pour tous les citoyens.
Au cœur de l’enseignement de Jésus sur la protestation pacifique et la dissuasion morale nous trouvons le principe de l’amour, l’esprit de la Loi, et le fondement de la justice. Lorsqu’il est appliqué, ce principe réconcilie le pécheur avec le Rédempteur, l’oppresseur avec l’opprimé.
Nous trouvons le principe de l’amour au centre des vies de Jésus Christ et de Joseph qui ont sacrifié leur liberté et leurs vies pour le bien commun.
Le pasteur Martin Luther King Jr. a appliqué le principe de Jésus au sein du mouvement pour les droits civiques. Sous son leadership, des millions de personnes ont manifesté pacifiquement et ont pratiqué la désobéissance civile. Le legs du pasteur King comprend l’émergence d’institutions qui se servent de la dissuasion morale, du dialogue et des actions non-violentes pour lutter contre le racisme et pour réconcilier et bâtir un monde inclusif qui mette en valeur le bien commun et garantisse la justice pour tous.
Voilà comment on avance
À travers nos récits, nous voyons le besoin de réconciliation et de justice, et nous comprenons peu à peu nos expériences et celles des autres. Nous défaisons les peurs, les stéréotypes et les biais, qu’ils soient conscients ou inconscients. Nous réalisons que nous sommes tous dans le même bateau, même si nous sommes arrivés ici en bateaux différents.
Ainsi, nous choisissons le bien commun en dépit des blessures du passé et des injustices, et nous nous encourageons pour travailler à notre guérison collective, au pardon et à la réconciliation. C’est une tâche qui prend du temps et nous devons travailler constamment et attendre avec patience, découvrant la main de Dieu dans notre travail alors que nous participons à la cocréation d’un monde meilleur transformé par l’amour.
Le 14 novembre 2020, le 161e Synode du diocèse de Montréal a adopté une motion pour mettre en œuvre le Plan d’action contre le racisme envers les personnes noires, développé par un groupe multi-ethnique de pasteurs et de membres laïques. L’adoption de ce plan constitue un moment charnière pour le diocèse en ce qui a trait aux relations raciales et à la sensibilité culturelle que l’on avait toujours gérées, jusque-là, en créant des paroisses ethniques. D’ailleurs, pendant longtemps, ces paroisses n’ont pas eu de programme formel ou de démarche particulière pour favoriser l’intégration avec des paroisses non-noires, ni de représentation dans le processus de prise de décisions ou de leadership du diocèse.
Le plan d’action nécessite un travail commun des prêtres et des membres laïques de toute ethnicité pour créer une nouvelle vision d’une Église vraiment unie, multi-ethnique et multiculturelle, dont l’identité première est l’amour de Dieu. Par le biais de programmes et de conversations en cours au sein du plan, nous adhérons au principe de l’amour et de réconciliation enseigné par Jésus et pratiqué par Martin Luther King Jr.
À l’instar de Joseph qui rêvait et agissait pour le bien de l’Égypte, travaillons ensemble pour réaliser le rêve du pasteur King : que les enfants des anciens esclaves et les enfants des anciens maîtres d’esclaves puissent s’asseoir ensemble à la table de la fraternité où règne l’amour véritable.